Sourire romanesque

26 juin 2014

Voilà comment se présente un écrivain quand il montre son premier roman imprimé .

Les yeux pétillent ...

Le livre relié avec des anneaux plastiques pour l'éditeur.

312 pages mais pour la lecture il faut un manuscrit écrit seulement en recto, çà devient donc un pavé. Karim a maintenant un imprimeur qui fera l'impression avec un dos collé .

Un deuxième extrait . Il s'agit du travail du maamal hafar, l'artisan puisatier qui crée une fosse pour installer un cabinet de toilette dans la maison . C'est un évènement !

[...] Une fois avec le marteau et le burin et une autre fois avec une pelle. Il utilise un morceau de zinc comme une petite truelle pour retirer la terre .
La terre fond sous les mains et les pieds du puisatier comme ont fondu le tajine de poulet et les pommes de terre. Il a mangé plus que d’habitude pour avoir l’énergie nécessaire pour creuser. Il pioche en même temps qu’il parle et raconte. Il n’arrête pas. Le père écoute de temps en temps mais la plupart du temps il répond à sa femme qui l’appelle de la maison, pour savoir où en est arrivé le chantier.
Le maalam s’enfonce de plus en plus dans le trou. Voilà qu’il est arrivé à la ceinture et dans quelque heures on ne verra de lui, que la tête. On dirait qu’il creuse sa tombe, à cet âge là. Lui-même le dit de temps en temps. Même pour plaisanter. Il le croit. Il dit vraiment:
- Un jour, il faudra que je creuse ma tombe pour ne pas faire souffrir quelqu’un après ma mort.
Il y a une vraie histoire qui se raconte ! Quelqu’un de la région l’a fait avant sa mort !
Le maalam hafar s’enfonce dans la terre et il a besoin du père pour lui donner la main et le sortir du trou, quand il veut boire un verre de thé ou se reposer. Il a été obligé de mettre une corde pour monter, quand le trou est arrivé à plus de deux mètres.
Le travail est fait, le trou est creusé. Le maalam hafar était comme une abeille dans sa ruche. Il arrondit. Il approfondit et il nettoie. Il n’a pas laissé un côté sans l’ajuster.
Le père et la famille sont contents du travail accompli. Ils l’ont été d’autant plus, qu’ils ont cru que le maalam hafar allait y laisser sa peau, dans ce travail-là.
Mais le maalam a prouvé qu’il est capable de travailler des jours et des jours et encore pour des années tant qu’il est en vie ! Les gens comme lui s’arrêtent pas de travailler. Avec sa volonté et son insistance. Il creuse les pierres et le fer.
Un homme qui ne se laisse pas abattre.
- Pas comme les jeunes d’aujourd’hui, dit le père de Saghir, qui a commencé, maintenant, à donner en exemple à la famille, le maalam hafar .
- Les jeunes d’aujourd’hui ont plus d’intelligence pour ne pas travailler et rester la journée les mains pliées. Plus d’intelligence et moins de force dans les bras ! dit le père .
Ces jeunes victimes de la société et des parents !

La nuit est arrivée et le maalam est encore en train de vérifier son travail. Le père a perdu patience. Il n’a rien fait de sa journée. La mère s’est endormie et s’est réveillée des dizaines de fois. Et le maalam Hafar est encore sur le chantier pour les finitions.
Le père l’incite à terminer le travail, en disant d’une voix moqueuse:
- Tu vas passer la nuit chez nous ! Les Joad, les mausolées de ce pays te tiennent pour passer la nuit sur leurs terres.
Le maalam répond:
- Je ne suis pas dans le désert. Je suis entre de bonnes mains et chez des gens généreux .
La nuit est tombée depuis plus de trois heures quand le maalam a fini son chantier. Le père a essayé de le retenir pour passer la nuit mais lui insiste pour repartir vers son village assister les gens qui enterrent son voisin, mort le matin même.[...]

"La mémoire de Saghir" -Abdelkarim Belkassem . 2014